Mon parcours

Ce qui m'a conduit à harmoniser des orgues

J’ai d’abord été attiré par l’orgue en tant qu’instrument de musique, et cela depuis la plus tendre enfance. J’habitais alors à la campagne (en Normandie, près de Rouen) et il n’y avait que quelques maisons là où nous étions, et bien sûr pas d’orgues à des dizaines de kilomètres à la ronde. C’est par les messes diffusées à la radio le dimanche que j’ai fait connaissance de l’orgue.

Mes parents, qui n’étaient pas musiciens, voyant cette attirance que j’avais pour la musique, m’ont inscrit à l’âge de huit ans au conservatoire municipal de St Quentin (Picardie) où j’ai dit que je voulais jouer de l’orgue. Tout le monde a rigolé, on m’a dit que je devais commencer par le piano et que si j’étais vraiment très bon, peut-être que je pourrais jouer de l’orgue. Il n’y avait pas de classe d’orgue à St-Quentin et je devais bien commencer par le piano, ce que je n’ai par la suite jamais regretté.

Environ à l’âge de dix ans, j’ai entendu à Dieppe (Normandie) un orgue pour la première fois. L’émotion était si grande que j’ai pensé que j’allais tomber sur le sol.

Ce n’est que plus tard qu’une personne m’a dit que le métier de facteur d’orgue existait encore mais que si je voulais l’apprendre, je devrais me rendre à Strasbourg où il y avait des ateliers . C’est ce que j’ai fait chez Kurt. Schwenkedel où j’ai commencé l’apprentissage. Je me suis inscrit en même temps à la classe l’orgue du conservatoire à Strasbourg, et très vite j’ai commencé à entendre les différences de son dans les orgues et à voir ce qui me touchait et ce qui me laissait plus indifférent, tout comme dans la musique.

Monsieur Schwenkedel, qui voyait mes dispositions à mémoriser le son, m’a donné des petits travaux d’accord et de préparation d’harmonisation à faire. Un jour comme le travail pressait, il m’a envoyé commencer l’harmonisation d’un orgue de vingt-cinq jeux à Villeneuve-les-Béziers dans le sud de la France, en attendant qu’un des harmonistes soit disponible. Au bout de trois semaines il est venu voir, et comme j’avais déjà presque terminé et que les gens étaient contents, il m’a laissé finir. C'est comme ça que je suis devenu harmoniste.

Qu'est-ce qui guide l'harmonie?

Est-ce l'acoustique de l'édifice, les conditions matérielles ou les souhaits du clients? Comme la question le laisse entendre, c’est la combinaison des trois éléments, et souvent de bien d’autres encore, qui oriente le choix du son d’un orgue. Un grand orgue dans une petite église peut sonner très bien, de même qu’un petit instrument dans une très grande église, il y a beaucoup de combinaisons possibles. Un bon facteur d’orgue est celui qui peut prendre en considération un grand nombre d’éléments et les synthétiser de telles sorte qu'à la fin l’orgue soit d’une grande unité, dans le son comme dans son aspect visuel.

En ce qui me concerne, une fois que le projet est déterminé, je m’imagine la musique qu’on pourra jouer sur l’orgue, et de quelle manière. Si c’est un orgue très "Renaissance" je m’imagine un son très "vocal" où une trop grande égalité des sons ne serait pas bonne puisque chaque note reçoit un traitement dynamique et rythmique particulier. Dans un orgue romantique, la dynamique se faisant sur de grandes phrases, il ne faut pas qu’une inégalité due à l’harmonisation des tuyaux perturbe la progression de cette phrase. C’est la connaissance des styles et de la musique qui permet au facteur de ne pas se perdre et de "garder le cap", particulièrement dans les grands instruments.

Personnellement, je considère l’harmonisation d’un orgue comme une interprétation musicale. Le musicien fait un travail sur une œuvre ou un répertoire en étudiant beaucoup d’éléments différents et en arrive à prendre des décisions sur l’interprétation, qui tiennent compte de données objectives (sources, connaissance des règle d’écriture etc.) et de son intuition, de telle sorte qu’il puisse jouer en oubliant tout ce qu’il a appris. Je fais de même en y ajoutant l’élément du son. La manière d'obtenir des sons différents sur des tuyaux d’orgues est un problème de technique qu’il faut travailler de la même façon qu’on travaille le son sur un instrument.

Les styles d'orgues

Autrefois, les facteurs d'orgues ne réalisaient qu'un seul type d'instrument. Aujourd'hui, nous construisons des orgues de styles variés, et nous nous efforçons souvent de restituer des styles anciens. Je ne ressens pas ça comme une contrainte, mais au contraire comme une émulation, un enrichissement. C’est n'est pas non plus une contrainte pour un musicien de jouer Scheidemann, Bull, Bach, Frescobaldi, Widor, Alain, Mozart etc. Ce n’est pas une contrainte, mais un enrichissement d’autant plus grand qu’on approfondit la connaissance des différents compositeurs, les conventions de leur époque, les techniques différentes qui conviennent à leur approche etc. C’est la même chose pour la facture d’orgues. Il n’y a peut-être pas de style propre à notre époque mais il y a par contre une très grande prise de conscience de ce qui est la musique en général et c’est précisément cette confrontation au passé ou à d’autres cultures qui nous rendra capables de réinventer des choses de façon naturelle, parce que nous aurons "digéré" ce qu’il y avait avant et autour de nous.

Quand j’étais jeune dans le métier, je pensais qu’il fallait acquérir plusieurs techniques et qu’ensuite on pourrait faire une synthèse de plusieurs styles. J’ai ensuite abandonné provisoirement cette idée pour m’intéresser seulement aux styles anciens sans les mélanger, même pour des orgues neufs. Maintenant, l’âge venant (il faut bien que ça serve à quelque chose) et en m’appuyant sur l’expérience, je me risque à mélanger plusieurs style en ayant pour but l’extension du répertoire pouvant se jouer sur un orgue.

Les orgues présentés dans ce site sont des instruments dont j’ai fait la conception sonore et l’harmonisation, parfois l’esquisse du buffet. Ils sont classés par style, pour illustrer ce qui a été dit ci-dessus.