Paramètres et techniques de l'harmonisation


Il existe de nombreuses manières d'aborder l'harmonisation des orgues. En essayant de comprendre les styles anciens, j'ai été amené à expérimenter différentes techniques, qui permettent de varier les paramètres du son en fonction de la musique qu'on veut jouer. Toutes les idées exposées ci-dessous doivent être considérées comme mon point de vue personnel et subjectif sur la question. Pour commencer, je ne parlerai que les tuyaux métalliques à bouche, qui sont les plus nombreux. On trouvera un petit commentaire sur les tuyaux en bois et les anches à la page 6.

On peut distinguer cinq paramètres qui influencent le son:
1) le matériau,
2) le réglage du vent et sa pression,
3) les mesures,
4) les hauteurs de bouches,
5) le traitement du biseau.

1) Le matériau

Dans le cas des tuyaux en métal, l'influence du matériau sur le son se limite au choix de faire des tuyaux en plomb ou de le mélanger avec de l'étain. Plus il y a d'étain, plus le son est clair, avec des harmoniques aigus. Le choix est essentiellement dicté par les styles, qui suivaient des habitudes nationales. En Allemagne du Nord, tout est en plomb, et dans le Sud il y a plus d'étain. En Italie, les tuyaux étaient en plomb, sauf la façade. En Espagne il y a beaucoup d'étain. En France, il y avait des tuyaux en plomb dans les orgues très anciens, et ils les ont tous enlevés par la suite, parce qu'ils disaient que le plomb s'oxyde. G. Silbermann dit ça aussi. Dans les régions où on a arrêté d'utiliser le plomb, la raison majeure était donc l'oxydation, et pas tellement la sonorité. Dans les pays où on a gardé le plomb, on avait sans doute des habitudes de travail différentes qui faisaient que le plomb s'oxydait moins, mais ce n'est vraiment pas très clair. Par exemple, il y a en Allemagne du Nord des orgues avec des tuyaux en plomb qui se sont mis à oxyder seulement depuis quelques années, et on ne sait pas pourquoi. C'est peut-être lié à la pollution, ou à des restaurations utilisant du chêne non flotté (c'est à dire trempé dans l'eau pour enlever le tanin, comme on le faisait dans le passé). Dans le Nord, on n'utilisait que du chêne flotté, et on n'avait donc pas d'ennuis avec l'oxydation. En Italie, on utilisait plutôt du noyer et du châtaigner, qui sont des bois moins agressifs. Et malgré ce que disaient les Français, tous leurs orgues ont les pieds et les biseaux en plomb, ce qui ne clarifie pas la question. La plupart du temps, on faisait le biseau en plomb, parce qu'il est plus mou est facile à traiter.


2) Le réglage du vent et sa pression

Il y a en gros deux manières de régler le vent, qui correspondent si l'on veut à deux écoles:
- le réglage à la lumière,
- le réglage au pied.

Le réglage à la lumière consiste à laisser le pied complètement ouvert, ou presque, et à régler le vent au niveau de la lumière en la fermant. De cette manière, le vent entre dans le tuyau avec toute la pression qu'il y a dans la gravure. Le tuyau consomme tout le vent que lui fournit le sommier, et l'équilibre se fait entre la hauteur de bouche et la pression. La hauteur de bouche doit être telle qu'elle absorbe tout le vent (ou presque). Au contraire, le réglage au pied consiste à fermer le pied et à laisser la lumière ouverte. De cette manière, la pression est réduite dans le tuyau par la fermeture du pied.

Par conséquent, quand on règle à la lumière, on donne à tout l'orgue une pression basse, qui correspond à ce dont les tuyaux ont besoin pour fonctionner. Inversement, quand on règle au pied, on donne à tout l'orgue une pression haute, beaucoup plus haute que celle dont les tuyaux ont besoin, on ferme les pieds jusqu'à ce que la pression à l'intérieur de ceux-ci corresponde à ce qu'il faut pour qu'ils fonctionnent, et on laisse la lumière assez grande de façon à ce qu'elle n'influe pas trop. En fait, la lumière est tellement grande qu'il y a une décompression dans le pied et au niveau de la lumière. Il peut y avoir 80 de pression dans la gravure, et pas plus de 30 dans le pied et à la lumière.

Quand on règle à la lumière, tous les tuyaux fonctionnent au même régime, qui correspond à la pression de l'orgue. Quand on règle au pied, on peut modifier la pression pour chaque tuyau et les faire fonctionner à divers régimes: on peut garder une pression haute pour certains jeux, et obtenir une pression basse pour d'autres jeux en fermant les pieds. La même chose se produit à l'intérieur des jeux, entre les différentes zones du clavier. Une première conséquence, c'est donc que quand on règle à la lumière, le son n'est pas toujours uniforme à l'intérieur des jeux: il peut y avoir des différences, des changements de timbre, des « trous » où le son est plus faible, parce que la pression est un peu basse relativement aux paramètres des tuyaux à cet endroit. Quand on règle au pied, on enlève ces inégalités plus facilement, parce qu'on a assez de réserve de pression dans la gravure.

Une autre conséquence, c'est que lorsqu'on règle à la lumière, les tuyaux réagissent davantage aux variations de toucher au clavier, parce que tout le vent libéré par la soupape parvient au tuyau sans être freiné. A l'inverse, si on règle au pied, la décompression du vent au niveau du pied et de la lumière neutralise la sensibilité au toucher et uniformise l'attaque. En fait, la pression qui arrive au niveau de la lumière peut être la même dans les deux cas, mais les petites variations dues au toucher sont neutralisées avec le réglage au pied.

D'après mon observation, le réglage à la lumière favorise le mélange des jeux. On le remarque particulièrement dans les orgues nord-allemands, dans lesquels un très grand nombre de mélanges fonctionnent. Il est difficile d'en expliquer la raison. Je suppose que lorsque la hauteur de bouche absorbe toute la pression, et que le tuyau fonctionne presque à sa limite, cela crée un équilibre entre la fondamentale et ses harmoniques. Le traitement du biseau joue aussi un grand rôle pour ne pas avoir trop d'harmoniques.

On construit les sommiers différemment suivant que l'on choisit de régler le vent à la lumière ou au pied. Quand on règle à la lumière, la pression étant basse, les gravures et les soupapes doivent être larges pour assurer un bon débit, ce qui donne un toucher avec un fort décollement. A l'inverse, quand on règle au pied, la pression étant haute, les gravures et les soupapes peuvent être fines, et le toucher est plus léger et a moins de décollement.

Répartition géographique et historique des écoles de réglage du vent

En France, même dans les orgues les plus anciens (début du XVIIe siècle), je n'ai jamais vu de pieds vraiment ouverts. Par leur construction même, les pieds sont fins et donc pas très ouverts. On utilisait une technique mixte, en réglant à la fois au pied et à la lumière. Dans la basse, c'est pratique de régler au pied, mais dans l'aigu, pour obtenir le même résultat, il faudrait ne laisser qu'une tête d'épingle d'ouverture, comme on l'a fait au XXe siècle dans le style néo-classique. Pour ne pas faire ça, on gardait un pied à moitié ou aux trois quarts fermé, et on fermait le reste à la lumière. Malgré tout, ces orgues sont plus sensibles que ceux des siècles suivants (mais pas autant qu'en Allemagne, en Italie et en Espagne). Ensuite, plus on avance vers le XVIIIe siècle, plus on agrandit les lumières et on ferme les pieds. Cette évolution aboutit au XIXe siècle avec Cavaillé-Coll qui fait des lumières vraiment béantes, avec des pieds fermés en conséquence. Dans le style néo-classique, on a gardé les lumières ouvertes, mais comme on voulait faire des bouches très basses, on fermait énormément les pieds, à l'extrême dans les aigus, ce qui est une technique qui n'existait pas dans le passé.

En Allemagne, tout le monde réglait à la lumière au XVIIe siècle. Au XVIIIe on commence à régler au pied, mais les deux techniques existent en parallèle, certains facteurs du XVIIIe laissant les pieds complètement ouverts tout droits, sans même les fraiser, plantés dans la chape, même dans les basses. Cette technique est généralisée dans les régions alpines (Allemagne du Sud, Autriche, Suisse), avec une pression qui ne dépasse pas 60 ou 65, et des bouches très hautes. G. Silbermann utilise une technique mixte comme les Français du XVIIe. Au XIXe, les Allemands règlent au pied, mais les bouches restent tellement hautes que les pieds sont souvent quand même ouverts, même avec des pressions de 90 ou 100, ce qui donne un son très fort avec beaucoup de fondamentale. On trouve tous les extrêmes dans ces orgues: depuis des jeux très forts jusqu'à des jeux très doux avec les pieds très fermés, mais les lumières sont toujours larges.

En Italie, de ce que j'ai vu, les pieds sont ouverts et on règle à la lumière, à part peut-être les basses, la première octave du 8', où la fermeture du pied fait encore proportionnellement beaucoup d'effet. A partir de la deuxième octave, ça n'agit plus autant et on règle à la lumière. Dans ce pays, la technique ne change pas au XIXe siècle. La sensibilité au toucher est cependant diminuée par le fait qu'ils mettent alors beaucoup de dents dans les biseaux.

En Espagne, les pieds sont ouverts, et les biseaux n'ont pas de dents, ce qui donne un son moins lisse et plus sensible au toucher.

Le réglage du vent en relation avec le style musical

Globalement, sauf en France où il y avait dès le XVIIe siècle une tendance à régler au pied, on peut dire que partout ailleurs la technique ancienne était le réglage à la lumière, et qu'au moment de la disparition de la polyphonie, dans le courant du XVIIIe siècle, on a adopté le réglage au pied. Mais ce n'est pas valable partout, par exemple en Italie où on a toujours gardé des pieds ouverts et le réglage à la lumière.

On peut résumer le passage entre les deux techniques de la manière suivante. Le réglage à la lumière donne un toucher plus sensible, pour autant qu'on ne mette pas trop de dents, et un timbre qui varie sur l'étendue du clavier. Ces qualités convenaient à la musique polyphonique, et ont donc été utilisées tant que cette musique était en usage. Au XVIIIe siècle, avec l'abandon de la polyphonie, on a adopté graduellement le réglage au pied, qui donne un son moins sensible au toucher et un timbre égal de la basse aux aigus. Par rapport au style musical de l'époque, cette insensibilité n'est pas à considérer comme un défaut, parce qu'on voulait faire de grandes phrases mélodiques, et ne pas avoir de dynamique sur les notes isolées.

De même, les variations de timbre sur le clavier, qu'on apprécie dans la musique polyphonique, sont ressenties comme des défauts à partir du XVIIIe siècle. En particulier, quand on règle à la lumière, le principal devient flûté dans le dessus, souvent vers le quart de pied ou même avant. Avec une lumière ouverte, le son reste clair de bas en haut. Il devient aussi instable et parasiteux, et c'est pour ça qu'on met des dents au biseau: quand les lumières sont ouvertes, il y a davantage de dents. C'est même de cette manière qu'on a transformé certains orgues anciens, comme ceux de G. Silbermann: on a ouvert les lumières, fermé les pieds et mis des dents pour uniformiser le timbre.

Ce phénomène du principal qui flûte dans l'aigu est différent de ce qui se passe dans les orgues français du XVIIIe, où ceci se produit à cause de leur système de mesure qui fait que les tuyaux aigus sont proportionnellement plus larges. L'effet sonore est tout autre : lorsque le principal flûte de lui-même à cause du réglage à la lumière, il sonne comme une voix de tête, ce qui est une qualité polyphonique, tandis que l'effet de flûte dû à la mesure donne au soprano une qualité mélodique qui couvre les autres voix.

La pression de l'orgue est en relation avec l'ouverture du pied. Là où les pieds sont ouverts, la pression est relativement basse, et inversement. Même dans les orgues monumentaux d'Allemagne du Nord, la pression n'est pas élevée, 80 au maximum. En Espagne et en Italie, la pression tourne autour de 50, ou même 40. A l'opposé, quand on règle au pied, on peut faire une pression générale énorme, et créer des différences de pression entre les jeux. Par exemple, dans les orgues français classiques (Poitiers: 120 mm), on a des anches brillantes qui ont besoin de beaucoup de pression dans l'aigu, et ailleurs on la diminue en fermant les pieds.


3) Les mesures

Les mesures des tuyaux sont les dimensions qui déterminent leur forme, et donc leur son. Dans le cas des tuyaux métalliques à bouche, ce sont:
- le périmètre ou le diamètre (ce qui revient au même),
- la largeur de la bouche,

Plus le diamètre est gros, plus le son est fondamental. A l'inverse, plus il est fin, plus il y a d'harmoniques. On distingue ainsi trois types de tuyaux ouverts:
- diamètre moyen: les principaux,
- gros diamètre: les flûtes,
- diamètre fin: les gambes.
Cette différence de timbre est plus floue pour les tuyaux fermés. Les diamètres gros et moyens donnent des bourdons avec un son plus ou moins sombre. Quand le diamètre est fin, le tuyau passe en quintaton, avec une harmonique de quinte presque plus forte que la fondamentale.

La largeur de la bouche sert en partie à régler la force, surtout pour les principaux. Plus la bouche est large, plus le son est fort, avec une attaque franche et percutante. Une bouche étroite donne un son plus doux et pincé. En général, la bouche des principaux fait le quart de la circonférence, mais il y a des écoles qui s'en écartent: on trouve des tuyaux à bouches larges en France et dans les Frandres, déjà au XVIIe siècle. En Suisse et en Allemagne, au contraire, on trouve des principaux à bouches étroites. Les flûtes ont presque toujours des bouches étroites, sauf en France à partir du XVIIe siècle. Silbermann fait des bouches très larges, sans doute sous l'influence française. Les gambes ont aussi en général des bouches plus étroites que le quart, ce qui adoucit et stabilise leur attaque.

Le calcul des mesures

On choisit les mesures des tuyaux d'après l'expérience, en fonction du timbre qu'on veut obtenir. Une fois qu'on a choisi les mesures du premier do, il les faut réduire à chaque demi-ton de manière proportionnelle, pour conserver en principe le même timbre sur toute l'étendue du registre. Dans la pratique, l'harmoniste ne calcule que les mesures des 'do', et c'est le tuyautier qui déduit celles des autres notes. Nous utiliserons le mot «progression» pour désigner la réduction des mesures, octave par octave. On pourrait supposer que le calcul de cette progression est très simple, mais en réalité il ne l'est pas, et c'est en cela que consiste la problématique des mesures.

Au premier abord, on suppose que la progression doit suivre les rapports numériques des intervalles, c'est à dire 2/1 pour l'octave. Dans les faits, seule la progression des longueurs des tuyaux suit à peu près ce rapport: entre deux tuyaux distants d'une octave, l'un est effectivement à peu près deux fois plus long que l'autre (par exemple 8' et 4'). Mais déjà là il y a une différence entre la théorie et la réalité, due à l'effet du diamètre. Comme on dit en acoustique, le rapport 2/1 n'est strictement valable que pour des tuyaux théoriques de diamètre nul. Ensuite, dans la réalité, plus le diamètre est gros, plus le tuyau est court, pour donner la même note. Ce serait très compliqué s'il fallait calculer la longueur exacte des tuyaux, mais heureusement ce n'est pas nécessaire, parce que c'est en les accordant qu'on les coupe à leur longueur définitive.

Le véritable problème se pose avec les autres mesures, le diamètre et la largeur de bouche. D'une part parce qu'il faut les calculer précisément pour pouvoir fabriquer les tuyaux, et d'autre part parce qu'elles s'éloignent encore plus du rapport 2/1. Il suffit pour s'en convaincre d'imaginer ce qui se passerait si on divisait le diamètre par deux à chaque octave: au bout d'un moment, les tuyaux deviendraient fins comme des fils de fer. A vrai dire, il n'est pas impossible d'utiliser la progression 2/1, mais on ne peut pas faire plus de trois octaves environ avec ce système. Et c'est l'une des options qu'on choisissait au Moyen-Age. Apparemment, on répugnait alors à s'éloigner des rapports des intervalles, ou proportions musicales, vénérées dans la tradition pythagoricienne. Une autre option était de donner à tous les tuyaux le même diamètre, ce qui limite également le nombre d'octaves réalisables. Dans les deux cas, on obtient un registre dont le timbre change progressivement de bas en haut: avec la progression 2/1, les tuyaux deviennent de plus en plus étroits, comme des gambes; et avec le diamètre constant, ils deviennent proportionnellement de plus en plus larges, comme des flûtes.

La progression 2/1 pose donc deux problèmes. Premièrement les tuyaux deviennent trop fins et on est limité dans la tessiture. L'autre raison concerne la perception du timbre: dans un registre fait de cette manière, on ne perçoit pas de continuité dans le timbre. Au contraire, on perçoit que les tuyaux deviennent de plus en plus étroits vers l'aigu, et sonnent de plus en plus comme des gambes. Notre perception auditive nous indique donc que, pour obtenir un timbre semblable, il faut utiliser une progression moins rapide. Et là, il y a de très nombreuses solutions.

La progression 2/1

Ces autres solutions se basent néanmoins sur la progression 2/1, et nous allons voir maintenant comment on peut la représenter dans une figure géométrique. Traçons un triangle rectangle IJK, dont les cathètes KI et JK sont en relation de 2 à 1. La distance JK donne le diamètre du premier do (C) de notre registre. Avec le compas, nous reportons cette distance sur le cathète KI, à partir de I, et nous obtenons le point M. Nous traçons en M un segment vertical qui coupe l'hypothénuse en L. La distance LM donne le diamètre du deuxième do (c). De la même manière, nous traçons les segments NO, PQ et RS qui donnent les diamètres du troisième, du quatrième et du cinquième do (c', c'' et c'''). Les longueurs JK, LM, NO, PQ et RS forment une progression 2/1.


Progression 2/1

Autres progressions

La première solution alternative consiste simplement à remplacer le rapport 2/1 par un autre, de manière à obtenir une progression plus lente. Les proportions les plus utilisées par les anciens sont:
- des rapports issus de la série de Fibonacci: 13/8, 8/5, 5/3 (qui sont des approximations du nombre d'or),
- les rapports entre le côté d'un polygone régulier et le rayon de son cercle circonscrit (rapport côté-rayon, abrégé c/r): 12 c/r, 10 c/2 (qui est égal au nombre d'or), 9 c/r, 7 c/r.
Les rapports de la série de Fibonacci sont des rapports de nombres entiers. Les autres sont irrationnels, mais facilement mesurables par la géométrie.

On procède avec ces proportions de la même manière qu'avec 2/1, en dessinant des triangles rectangles et en rabattant le petit cathète pour obtenir une progression constante égale à la proportion du triangle.


Progression 13/8

On trouve ce système dans des orgues anciens, mais rarement. La plupart du temps, on utilise des procédés pour modifier la progression. Ces procédés sont de deux sortes:
- l'arcanum,
- la progression variable.
En principe, on utilise soit l'un, soit l'autre, mais pas les deux en même temps.

L'arcanum

Le premier procédé consiste à modifier le triangle en y insérant un petit segment, qu'on appelle «arcanum» (voir Bendeler dans la bibliographie ci-dessous). Il y a deux manières de le faire:
- l'addition constante,
- la fausse hypothénuse.

Dans les deux cas, on commence, comme nous l'avons fait ci-dessus, par faire un triangle rectangle (de rapport 2/1 ou autre) et y tracer la progression constante en reportant le petit cathète sur le grand. Ensuite, dans le cas de l'addition constante, on ajoute un petit segment (l'arcanum) sous le petit cathète, KT sur la figure. En T, on trace un segment parallèle au grand cathète, de façon à former sous ce dernier un rectangle IKTU. On prolonge ensuite les segments JK, LM, NO, PQ et RS jusqu'à ce qu'ils touchent TU. Ces segments, qui représentent les diamètres des 'do', sont donc tous augmentés de la même valeur KT, l'arcanum, qui forme dans ce cas une addition constante. La valeur de l'arcanum est choisie bien sûr en fonction du diamètre qu'on veut obtenir, par expérience empirique, mais on l'emprunte volontiers quelque part dans la progression, par souci de cohérence et d'harmonie. Par exemple, dans la figure, l'arcanum KT est égal à la distance IR.


Progression 2/1 avec addition constante

Ce système est le plus fréquent dans l'orgue ancien, le plus souvent avec le rapport 2/1 dans le triangle de base.

Dans le cas de la fausse hypothénuse, on part de la même figure avec progression régulière, mais on place l'arcanum en haut du petit cathète, de manière à obtenir le point T en-dessous de J. Quelque part dans l'hypothénuse, on place un autre point par rapport à I ou J, obtenu avec le même arcanum ou une autre dimension issue de la progression. Par exemple, dans la figure, nous prenons simplement le point L. De T à L, on trace une nouvelle hypothénuse, qu'on prolonge, ainsi que le grand cathète, jusqu'à ce qu'ils se touchent en U. De cette manière, les mesures des premières notes sont rétrécies, et celles des dernières sont agrandies.


Progression 2/1 avec fausse hypothénuse

Le résultat de ces deux procédés est que la progression n'est plus constante, mais change d'octave en octave. En effet, la distance entre les segments représentant les diamètres des 'do' obéit à la proportion du triangle de base, mais leur longueur est déterminée par le triangle modifié.

La progression variable

Le deuxième procédé consiste à modifier la progression sans modifier le triangle. On trace donc un triangle rectangle (de rapport 2/1 ou autre), et on place ensuite les segments verticaux là où on le souhaite, en utilisant toujours des distances issues de la figure par souci d'harmonie.


Proportion 13/8 avec progression variable
(mesure du Principal 8' de Silbermann)

Le résultat de ce procédé est non seulement que la progression est inconstante, mais encore qu'elle peut changer d'octave en octave de manière irrégulière.

L'Allemagne du Nord

La tradition de l'Allemagne du Nord constitue un cas particulier de la technique des mesures. Dans ce style, on pousse à l'extrême le procédé de la progression variable, en l'appliquant non seulement au diamètre, mais aussi à la largeur et à la hauteur de la bouche:
- La largeur de bouche, dans la plupart des autres traditions, est une fraction constante du périmètre, par exemple le quart. Ce qui signifie qu'elle suit la progression du périmètre (ou du diamètre). Dans la tradition nord-allemande, on donne à la largeur de bouche une progression indépendante.
- La hauteur de bouche, comme on le verra ci-dessous, suit sa propre loi, et sa progression naturelle se situe entre 1,6 et 1,65. En Allemagne du Nord, on fait osciller cette progression entre ces valeurs, indépendamment des autres mesures.
De cette manière, on fait varier les progressions de ces trois paramètres, en puisant dans un réservoir de nombres unis par une proportion, et on peut facilement obtenir une combinaison différente pour chaque registre.


Proportion dorée avec trois progressions variables
(Mesure de l'Octave 4' de l'orgue de la Côte-aux-Fées)

Les progressions constantes au XIXe siècle

Au XIXe siècle, on utilise à nouveau des progressions constantes, mais avec d'autres méthodes de calcul. Cavaillé-Coll calcule ses progressions en considérant non pas le rapport entre les octaves, mais directement le rapport entre le premier do (C) et le dernier (c'''). Comme cela représente une distance de quatre octave, il faut faire la racine quatrième de ce rapport pour obtenir le rapport d'octave. Par exemple, une progression 6 signifie que la mesure du c''' est 1/6 de celle de C, et la mesure de c est 4v6 de celle de C.

Les triangles du tuyautier

Lorsque l'harmoniste a calculé les mesures des 'do', il les donne au tuyautier qui doit en déduire les mesures des autres notes. Pour ce faire, il utilise une règle représentant la progression des longueurs des tuyaux, disposées comme des frettes sur un manche de guitare. Verticalement, il reporte les mesures des 'do', puis les relie par des segments de droite, et obtient ainsi les mesures intermédiaires.


(Tiré de J.G. Töpfer, Die Theorie und Praxis des Orgelbaues, Leipzig 1888)

Il en résulte également une figure en forme de triangle rectangle, mais elle ne permet pas de voir immédiatement le système utilisé par l'harmoniste pour calculer les mesures. De telles figures, qu'on trouve par exemple dans le traité de Dom Bedos, doivent être décodées par calcul si on veut en trouver le principe générateur.

Bibliographie

Johann Philipp Bendeler
Organopoeia
Bibliotheca Organologica Volume XXVIII
General Editor Peter Williams, Edinburgh
Frits Knuf, Amsterdam, 1972

Alfred Hoppe (+1968)
Das wiederentdeckte Werckgeheimnis des deutschen Orgelbaus
Messungen und Untersuchungen an alten Orgeln
Berndt Stoffers Verlag und Druckerei KG, Hamburg, 1977


4) Les hauteurs de bouches

La progression des hauteurs de bouches

A l'époque de mon apprentissage, on m'a appris à trouver les hauteurs de bouches avec le compas de réduction, à partir de la largeur de la bouche. Mais il est impossible de garder un rapport constant entre ces deux mesures dans un registres, alors on changeait de rapport à chaque octave, par exemple la première au quart, la deuxième un peu plus, et ainsi de suite. Dans un premier temps, j'ai travaillé de cette manière, mais je voyais bien que c'était un système pifométrique, ce qui personnellement me dérangeait. Quand je me suis intéressé aux lois qui régissent les choses de l'harmonie, cette approche ne me satisfaisait plus.

Dans les orgues anciens, on peut voir que les hauteurs de bouches ne suivent pas ce principe, ou rarement. Ce qui revient à dire que les hauteurs de bouches suivent une progression qui n'est pas liée à la progression des mesures des tuyaux. En fait, Cavaillé-Coll a écrit exactement ça, et c'est chez lui que j'ai trouvé cette information pour la première fois. Cavaillé-Coll dit que les hauteurs de bouches suivent plutôt les progressions des longueurs, et surtout des longueurs battantes des anches. Il compare la hauteur de bouche à une anche aérienne. Dès le moment où j'ai lu ça, je me suis mis à travailler autrement. Cavaillé-Coll s'était fait des plaques pour faire les hauteurs de bouches, dont je ne connais que la plus courante, qui suit accessoirement la progression du diamètre du salicional, soit 1,65. Cavaillé-Coll ne travaillait qu'avec des plaques, et pas du tout avec le compas. Je pense que même dans l'orgue ancien beaucoup de gens ne travaillaient pas au compas.

Dans un premier temps, quand il a fallu chercher une autre technique, je faisais des modèles en ouvrant les bouches des 'do' pour qu'ils sonnent bien, puis je calculais les notes intermédiaires à partir de ces modèles. Ensuite, quand j'ai essayé de comprendre les styles, j'ai aussi utilisé les mesures prises sur les orgues anciens. J'ai utilisé la technique des modèles jusqu'à ce que je comprenne que les hauteurs de bouches suivent une progression fixe.

Chez les anciens, on trouve des facteurs qui utilisent une progression fixe de bas en haut du clavier, comme G. Silbermann, dont je suppose qu'il utilisait aussi une plaque. On trouve d'autres facteurs qui font changer la progression d'octave en octave, et c'est en fait le cas le plus fréquent. Pour ma part, sauf pour le style nord-allemand, j'utilise des progressions fixes. De toute façon, dans tous les styles d'orgues, la progression des bouches tourne autour de 1,6 et 1,65.

En Allemagne du Nord, on s'amuse à osciller autour de ces valeurs, en utilisant des nombres dérivés des mesures. C'est un jeu dont le but est de diversifier le son au maximum, ce qui est une idée baroque. Au premier abord, on a l'impression qu'ils font n'importe quoi, mais en fait ils jouent avec les nombres de manière très sophistiquée. Ils peuvent faire croiser les progressions, par exemple dans une zone ou le Principal 8' a des bouches hautes, on fait des bouches basses pour le 4', etc.

Le choix des hauteurs de bouches

A côté de la question de la progression, on peut encore se demander ce qui va déterminer qu'on fasse des bouches plutôt hautes ou plutôt basses dans un orgue. D'une part ça peut dépendre du style, mais d'autre part, même à l'intérieur d'un style, on fait des choix différents en fonction de la taille de l'église. On le voit chez G. Silbermann: il utilise les mêmes mesures pour tous ses orgues, et la seule chose qui varie, c'est les hauteurs de bouches, et par conséquent la pression. Si l'église est grande, l'orgue doit être plus fort, et donc on augmente la pression et on monte les bouches. Des bouches plus hautes peuvent aussi servir à donner plus de fondamentale.

En ce qui concerne les styles, les bouches les plus hautes sont en Allemagne. En France, les bouches sont plus basses, ce qui donne un son plus clair et plus doux. En Italie, c'est un peu la même chose, à part qu'ils règlent à la lumière et mettent des dents très tôt pour avoir un son très propre. En Espagne, les bouches sont un peu plus hautes qu'en Italie pour une pression similaire. Comme les Allemands, les Espagnols mettent très peu de réserve: si par exemple ils ont 50 de pression, les bouches sont hautes par rapport à cette pression. Ils obtiennent ainsi un son un peu guttural, qui parle lentement, un peu essoufflé, et extrêmement sensible au toucher. En Italie et en France, on garde une marge. Plus l'équilibre est limite, quel que soit le paramètre, plus le son est sensible au toucher.


5) Le traitement du biseau

Après avoir passé par toutes ces étapes (choix du matériau, des mesures, du réglage du vent, ouverture de la bouche), il faut encore régler le biseau du tuyau, à deux endroits:
- la hauteur,
- l'arrête.

La hauteur du biseau et la direction du vent

Le réglage de la hauteur du biseau est une opération simple et bien connue. Elle sert à diriger le vent à l'intérieur ou à l'extérieur du tuyau. Si le biseau est trop haut, le vent va à l'extérieur et le tuyau attaque lentement ou pas du tout; s'il est trop bas, il attaque trop vite et passe finalement à l'octave. On doit donc le placer quelque part au milieu pour que l'attaque soit bonne. Naturellement, on peut faire des nuances selon son goût personnel. On trouve de tout dans les orgues anciens, et d'ailleurs il est difficile de dire si le biseau d'un tuyau ancien est resté à sa hauteur d'origine. Les variations sont individuelles, il n'y a pas de tendances nationales. Certains aiment placer le biseau le plus haut possible, ce qui donne une attaque lente et un son clair. D'autres aiment le placer le plus bas possible, à la limite de l'octave, et ainsi le son est plus sombre. Pour les flûtes, on place généralement le biseau assez bas, pour que le son soit rond et fondamental. La hauteur du biseau doit aussi parfois être adaptée suivant la forme de l'écusson.

D'autres paramètres agissent sur la direction du vent. Au niveau de la lèvre inférieure, on peut faire un petit chanfrein sur l'arrête quand on travaille à la spatule (voir ci-dessous). Cela produit à peu près le même effet que de monter le biseau: le vent est dirigé vers l'extérieur.

On peut agir au niveau de la lèvre supérieure au moment du montage du corps sur le pied. Silbermann utilise une technique spéciale pour placer la lèvre supérieure en avant. Le but est clairement de faire rentrer l'air au maximum dans le tuyau, et ainsi d'obtenir un son très fondamental. Il combine cette technique avec des bouches très larges (qu'il a peut-être importées du nord de la France) qui donnent un son très fort. La tendance à avancer la lèvre supérieure existe dans certains autres orgues anciens, mais nulle part autant que chez Silbermann, à ma connaissance.

L'arrête du biseau

Si on ne traite pas l'arrête du biseau, le tuyau brut grésille. Dans les basses et le suraigu, ça peut marcher tout seul, mais à partir du médium il y a des parasites, des sons suraigus, à cause des turbulences qui se forment au niveau du biseau. Il faut donc traiter ce dernier pour canaliser le vent, et il y a plusieurs techniques pour le faire.

La technique la plus connue et la plus utilisée consiste à mettre des dents sur le biseau. On trouve des dents déjà sur des tuyaux du XVIIe siècle. Au XIXe siècle, cet usage s'est généralisé et on a alors oublié les autres manières de traiter les biseaux.

Au XXe siècle, après la deuxième guerre, on a cherché à retrouver la technique des anciens. On a observé que les tuyaux anciens n'avaient pas de dents, mais que l'arrête du biseau présentaient un plat ou une contre-pente, alors on a eu l'idée d'utiliser la lime pour obtenir ce résultat. J'ai aussi travaillé comme ça au début de ma carrière, mais j'ai rapidement arrêté. Je pense que les anciens n'ont jamais travaillé à la lime, et que c'est une technique moderne, parce que je n'ai jamais vu de traces de lime dans des tuyaux anciens. Avec la lime, on obtient un son propre, mais avec beaucoup d'harmoniques aigus et une attaque assez rêche et percutante.

La troisième technique, qui est celle que j'ai cru desceller dans l'orgue ancien, consiste à aplatir l'arrête du biseau avec une petite spatule. En effet, on peut voir une trace d'aplatissement sur les biseaux anciens, mais ce n'est pas une trace de lime à mon avis. Certains ont alors pensé qu'on pouvait obtenir cet aplatissement en rabotant la pointe du biseau avant d'assembler le pied et le corps du tuyau (je crois d'ailleurs qu'on trouve des indications à ce sujet dans des traités anciens). Mais le rabot et la spatule ne laissent pas la même trace: si on repousse le métal avec la spatule quand le tuyau est fini, ça fait une bavure en-dessous, qu'on ne peut voir que si on démonte le pied. Et comme j'ai effectivement vu de telles bavures dans des tuyaux anciens que j'ai démontés, je pense que le rabot ne peut pas tout expliquer. Certains ont même raboté les biseaux et les ont encore aplatis ensuite. Pour ma part, je préfère n'utiliser que la spatule. (Même chez Cavaillé-Coll, on commençait par égaliser la lumière avec une spatule, mais pas dans un but d'harmoniser.)

Cette technique de l'aplatissement du biseau ne fonctionne que si la lumière est fine (autrement dit si on règle le vent à la lumière). Si la lumière est large, ça ne fait pas assez d'effet et on doit faire des dents. Si la lumière est fine, donc, l'aplatissement du biseau enlève les grésillements et stabilise le vent, mais le résultat n'est pas le même qu'avec la lime ou les dents, et apparemment les anciens préféraient ça. On obtient un son qui n'est pas absolument lisse, qui garde de petites instabilités (qui ne dérangent pas) et l'attaque est plus douce qu'avec la lime, et pas aussi émoussée qu'avec les dents. Le son est aussi moins clair qu'avec la lime.

Il y a bien sûr aussi des techniques mixtes. Quand il y a des dents dans un style ancien, c'est qu'il faut utiliser les deux techniques (je ne parle plus de la lime, qui à mon avis n'est pas une technique historique). Chez G. Silbermann, par exemple, on aplatit légèrement le biseau et on met des dents, et dans ce cas les lumières sont un peu plus ouvertes. On trouve des dents en Italie depuis très longtemps. Silbermann n'a pas importé cette technique de France, mais a dû l'apprendre des facteurs de sa région en Allemagne, et ceux-ci l'avaient probablement importée d'Italie. La technique des dents était répandue dans le Sud de l'Europe (Italie, Allemagne du Sud, Autriche, Suisse). On ne l'utilisait pas, ou très peu, dans le nord de l'Allemagne et de la France, la Hollande, ni en Espagne, qui était influencée par le Nord.

A partir de la fin du XVIIIe siècle, la technique des dents s'est peu à peu généralisée. Même Clicquot faisait des dents à tous les tuyaux, mais très fines, à peine visibles, pour rendre le son propre et lisse. Et au XIXe siècle, on n'utilisait plus que ça: on faisait des dents de formes variées, par exemple beaucoup de dents peu profondes, ou quelques dents très profondes, ou encore alterner des dents profondes et peu profondes sur le même biseau (doubles dents), pour obtenir divers effets sur le son. On agissait sur le nombre et la forme des dents (larges, fines, profondes, peu profondes). Si les dents sont larges, l'attaque est émoussée et il reste un souffle dans le son. Au contraire, si les dents sont fines, l'attaque est moins émoussée et le son est très lisse.

Le goût personnel agit beaucoup dans le traitement du biseau. On peut faire sonner des tuyaux identiques de manières très diverses selon la manière dont on traite le biseau. Ça peut expliquer que même dans l'ancien temps, entre des facteurs qui utilisaient des techniques et des systèmes de mesures semblables, il y avait des différences de son importantes. Si la lumière est plus étroite, le son est plus doux, lisse et fondamental. Le biseau plus aplati produit le même effet, qui est donc renforcé si on combine ces deux choses. Selon le goût personnel, on pouvait donc obtenir un son plus ou moins clair. En revanche, je doute fortement de l'idée qu'on a eue, à la suite de la vague néo-classique, que les orgues anciens devaient grésiller parce qu'il n'y avait pas de dents aux biseaux. Les traités de Mersenne, Dom Bedos et Praetorius décrivent le grésillement comme un défaut. Les Français utilisaient le terme « friser » pour en parler. Evidemment, on ne peut pas connaître leur marge de tolérance.


Les tuyaux en bois

Le plus souvent, on choisit de faire des tuyaux en bois simplement par commodité, uniquement dans les basses, parce que les gros tuyaux en bois sont plus stables et moins lourds que ceux en métal. Mais en Allemagne du Nord et à la Renaissance, les registres sont soit entièrement en métal, soit entièrement en bois, et alors c'est clairement en vue d'obtenir un autre timbre. Les jeux en bois sont en général moins nombreux. A partir du XVIIIe siècle et au XIXe, on trouve plus de registres en bois en Hollande, Allemagne moyenne, Sud Tirol, Autriche et Espagne, et finalement un peu partout sauf en France.

Les tuyaux de bois se règlent essentiellement au pied, avec des lumières plus larges que les tuyaux en métal. En raison sans doute de la texture du bois, ils ne font pas de parasites. Comme il s'agit la plupart du temps de flûtes ou de bourdons, ils posent peu de problèmes d'harmonisation. Quand on fait des principaux en bois, ce qui est beaucoup plus rare, c'est nettement plus difficile. Dans ce cas, il vaut mieux faire des lumières plus fines, sans quoi l'attaque est trop percutante.

Dans les tuyaux en bois, le vent tend toujours à aller à l'intérieur et à octavier. On utilise souvent des techniques de construction spéciales pour diminuer cette tendance. On le voit chez Silbermann, qui fait aux tuyaux en bois le contraire de ce qu'il fait aux tuyaux en métal.

Les anches

Le son d'un tuyau à anche est essentiellement lié à la manière dont il est construit, ce qui donne à l'harmonisation de ces tuyaux quelque chose de plus objectif que pour les tuyaux à bouche. Une fois que le tuyau est construit, il faut juste apprendre à courber la languette pour le faire sonner. On ne peut pas modifier le timbre à ce stade, comme avec un tuyau à bouche. Si l'anche est trop courbée par rapport à la pression, le tuyau attaque en retard. Si elle n'est pas assez courbée, l'attaque est rapide et percutante, et le tuyau râle. On peut courber plutôt au milieu ou aux extrémités de la languette, suivant le type d'anche et les habitudes personnelles.

Les styles d'anches se groupent par écoles nationales. L'école française est une survivance de ce qui se faisait partout à la Renaissance, avec des anches ouvertes qui donnent un son brillant, un effet de fanfare royale. C'est la même chose en Espagne, avec des mesures un peu différentes, des corps plus gros.

Dans l'orgue allemand, les anches servent à imiter les consorts, et on utilise plusieurs techniques dans ce but. Ils font de grosses anches qu'ils ferment avec une plaque, et parfois même de la peau, pour adoucir le son et le rendre plus fondamental. Il n'y a pas d'idée de brillance dans les anches allemandes. Silbermann est une exception, parce qu'il a importé la technique française. Toutes ses anches sont françaises, sauf le Posaune. La première bombarde qu'il a faite, à Freiberg, était de type français, mais l'organiste lui a demandé de l'enlever, et c'est peut-être Hildebrandt qui lui a montré le Posaune sombre qu'il n'a ensuite plus jamais modifiée.

Les Italiens font des anches surtout à partir du XVIIIe siècle. Ils recherchent aussi un son plus sombre, plus fondamental et plus doux, avec des anches profondes, pour obtenir un effet orchestral. Ils font même parfois deux languettes superposées au XIXe siècle.